Chapitre 6
note 35

Pour approfondir cette question nous renvoyons le lecteur au supplément d’information en ligne.

 

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Parmi les exemples possibles, on peut relever les cas, très récents, de l’Université du Québec à Montréal, qui a ouvert en 2010 un nouveau profil, « Cinéma et images en mouvement », dans son programme de maîtrise en communication, et de l’UCSC (University of California, Santa Cruz), qui propose, aussi depuis 2010, un « Ph.D. in Critical Practice in Film & Digital Media ». On peut aussi mentionner le cas de l’Université York (Toronto) et de son « Ph.D. in Cinema & Media Studies », ainsi que celui de l’Université Concordia (Montréal) et de son « Ph.D. in Film and Moving Image Studies », tous deux instaurés en 2008. Voilà une bien courte énumération, dont nous avons choisi les éléments parmi des dizaines d’autres cas semblables (en Amérique du Nord du moins) qui ont comme caractéristique commune d’associer, par simple juxtaposition, le cinéma à un champ plus large (« images en mouvement », « Digital Media », « Media Studies », « Moving Image Studies »), qui inclut d’ailleurs toujours le cinéma lui-même (le cinéma, ce sont aussi des images en mouvement, le cinéma est bien l’un des médias auxquels on fait référence lorsqu’il est question des médias numériques, etc.).

Cette volonté d’élargir les horizons des programmes d’études en cinéma est l’un des effets que les mutations provoquées par la vague déferlante du « tsunami numérique » ont eus et continuent d’avoir sur le champ des études cinématographiques, ainsi que sur les rapports qu’entretiennent avec l’objet même de leur profession ceux qui exercent la fonction d’« enseignant-chercheur en cinéma ». Il apparaît évident, de prime abord, que, dans le nouveau contexte, la spécificité du cinéma en tant que média est devenue plus floue qu’elle ne l’a jamais été. On l’a dit, depuis le dernier tournant de siècle, la définition du cinéma est changeante, flottante, imprécise, instable, variable, ad infinitum. D’où un certain désarroi chez la plupart des intervenants du champ des études cinématographiques eu égard aux frontières de leur discipline.

Prenons comme premier exemple (et symptôme) de ce phénomène le cas d’un groupe de recherche comme ARTHEMIS (Advanced Research Team on History and Epistemology of Moving Image Study), une infrastructure de recherche qui est, selon les termes la définissant, « dedicated to the study of the evolution of film studies as a discipline », et qui existe depuis 2007. On aura remarqué l’apparent paradoxe : le groupe de recherche dit se consacrer à l’histoire de la discipline des études cinématographiques (« film studies as a discipline ») mais, pour se définir en tant que groupe, fait plus largement référence à l’étude de l’image en mouvement (« moving image study »). C’est un peu comme si le glas des « film studies as a discipline » avait déjà été sonné et que, pour faire l’histoire de la discipline en question, il valait mieux agir depuis ce poste d’observation (post mortem ?) que représenterait quelque chose comme les « Moving Image Studies ». « Quelque chose comme… », disons-nous ; en effet, le groupe de recherche ne se réclame pas ici directement des MIS (« Moving Image Studies » : un champ disciplinaire qui existe déjà, de façon assez limitative, on le verra plus loin), mais proclame tout simplement sa volonté de faire l’étude (study) de l’image en mouvement (moving image) ; sur la page d’accueil du site Web d’ARTHEMIS (voir la figure 1), on peut constater qu’il y a un pas qui n’est pas franchi, qui n’est pas encore franchi.

Figure 1 – Page d’accueil du site Web d’ARTHEMIS (Advanced Research Team on History and Epistemology of Moving Image Study), groupe de recherche basé à l’Université Concordia (Montréal).

Or, en juin 2010, ARTHEMIS organise un important colloque, sous le titre « The ARTHEMIS International Conference—Moving Images Studies: History(ies), Method(s), Discipline(s) ». On dirait que le pas est maintenant franchi : non seulement le colloque ne porte-t-il pas sur les « Film Studies », mais il y sera plutôt question de l’histoire, des méthodes et de la discipline des « Moving Image Studies ». Le groupe ARTHEMIS passe ainsi, subrepticement, de l’étude d’un phénomène (« Moving Image Study ») à quelque chose qui commence à avoir toutes les apparences d’un champ disciplinaire : les « Moving Image Studies ».

On appréciera encore une fois le fait, hautement emblématique pour les auteurs du présent ouvrage, qu’un groupe qui déclare se consacrer d’abord et avant tout à l’évolution des « Film Studies » fasse de son centre d’intérêt (cf. le titre du colloque) non pas, justement, les « Film Studies », mais ce que d’aucuns pourraient considérer comme un concurrent : les « Moving Image Studies ».

Avec ces « Moving Image Studies » qui se pointent à l’horizon, assistons-nous à la naissance, à la constitution d’une nouvelle discipline ? On peut penser que tel est le cas. Plus qu’une simple concurrente, la nouvelle discipline serait d’ailleurs un éventuel substitut aux « Film Studies » , au sein desquelles l’étude apparente du seul cinéma, au sens classique du terme, commencerait à être jugée trop limitative. Dans le contexte actuel, on peut en effet imaginer que les « Moving Image Studies » pourraient, dans quelques années, faire disparaître et supplanter, en la phagocytant, en la cannibalisant, la discipline des « Film Studies ». Le phénomène est d’ailleurs déjà à l’œuvre. Prenons comme exemple le programme de « Ph.D. in Moving Image Studies » de la Georgia State University, dont l’intitulé ne renvoie plus au cinéma de façon explicite.

Figure 2 – Page Web du programme de « Ph.D. in Moving Image Studies » de la Georgia State University, lancé en 2001.

On peut imaginer que c’est sans complexes ni remords que les responsables de la création de ce programme ont opéré pareil choix, prenant prétexte de l’élargissement récent des frontières qui séparaient naguère le cinéma, la télévision et ce qu’on appelle sur le site Web du programme (voir la figure 2) les « nouveaux médias » :

The doctoral program in Moving Image Studies is an exciting, new (begun in 2001) program in the Department of Communication. It is specifically designed to provide students with the conceptual and methodological tools to study the complex and vastly expanded moving image environment of the 21st century, where the boundaries separating cinema, television, and new media are breaking down. Moving Image Studies is an outgrowth of cinema studies, television studies, new media studies, cultural studies, and critical theory. Many of our core seminars are designed to cut across media boundaries (by examining how models, paradigms, and methods are problematized and enriched as we move across specific media); while other seminars are devoted to intensive examination of problems within a specific media formation (https://web.archive.org/web/20130702195939/http://www2.gsu.edu/~wwwdcm/mis/4946.html).

On peut d’ailleurs soupçonner qu’un abandon aussi hâtif (dès 2001, en effet) de toute référence au cinéma dans le programme doctoral de la Georgia State University n’est pas étranger au fait que celui-ci est rattaché à un département de communication (et non pas à un département de cinéma ou d’études cinématographiques) et qu’il est né du rassemblement de cinq disciplines différentes (cinema studies, television studies, new media studies, cultural studies et critical theory), au sein desquelles le cinéma n’est qu’une composante. On peut faire l’hypothèse que les chercheurs spécialisés en études cinématographiques ne représentaient qu’une minorité parmi les responsables de la conception du programme. Nous formulons ces suppositions en tenant compte du fait que les programmes doctoraux dont il a été question plus haut, pourtant conçus tout récemment, l’ont pour leur part été dans des départements de cinéma et par des spécialistes du cinéma (on peut vérifier la chose en consultant les sites Web correspondants), et que c’est la raison pour laquelle on aurait décidé, en toute conscience, de maintenir la référence directe au cinéma lui-même dans l’intitulé des programmes que l’on créait.

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