Si nombre d’entre nous aujourd’hui partageons confusément cette impression de perte de profondeur, de chaleur ou de proximité (perte qui serait causée par la digitalisation des médias), il est difficile de prendre une distance et de faire la part scientifique des choses devant ces considérations parfois teintées de nostalgie ou de peur du changement. D’autant que, même lorsqu’on adopte le point de vue des usagers, ces orientations ou ces « colorations » liées à l’ontologie du matériau de transmission ne sont pas toujours perçues. On se souvient, mutatis mutandis, des contorsions parfois peu convaincantes auxquelles se livrait un McLuhan pour expliquer en quoi la télévision relevait pour lui de la catégorie des médias froids qui, selon sa définition, encouragent la participation au média. Pour l’auteur, la myriade de points que le spectateur se doit de recomposer, sans le savoir, pour accéder à l’image transmise sur son petit écran domestique répondait à ce critère de participation. Ainsi associée à la seule perception inconsciente du téléspectateur, cette « froideur participative » définie par McLuhan a suscité la controverse. On peut aussi se demander si cette façon « ontologique » d’interpréter la froideur-sans-durée de l’image numérique ne s’expose pas à une critique du même ordre que celle adressée à McLuhan en ce qui a trait à la télévision. Au passage, et pour peu qu’on accepte de déplacer d’un cran le champ conceptuel, on pourrait peut-être se poser cette question assez insolite en apparence : le numérique n’opère-t-il pas, à sa façon, comme un ersatz technologique du spectateur de télévision mcluhanien, dès lors qu’il réalise pour nous la synthèse et la reconstruction de l’image digitalisée qu’il nous donne à voir ?